En copie à la presse rédigée par Irena Havlicek, bénévole de l’association Scarabée.
32 rue Etienne-Dolet, 92240 Malakoff
au président
du Conseil d’administration de l’OFII, avec copie à l’ensemble des membres du Conseil d’administration. Parce que ce n’est plus
possible. Comment un organisme PUBLIC (sensé défendre l’état de droit,
l’intérêt général, bla-bla…) peut-il prononcer, tous les jours, des refus de
CMA (conditions matérielles d’accueil) en totale illégalité ?
Objet :
DEVOIR D’ALERTE !
A Monsieur
Rémy SCHWARTZ
Président du Conseil d’administration de l’Ofii
copie à
l’ensemble des membres
du Conseil d’administration
à Malakoff, le 12 décembre 2018
Monsieur
C’est en
tant que simple citoyenne, membre d’une association de solidarité avec les
réfugié-e-s et les exilé-e-s que je me permets de m’adresser à vous.
Comme de
très nombreux citoyennes et citoyens français, je suis accablée tous les jours
par la situation des personnes qui viennent chercher refuge chez nous et qui se
retrouvent dans des conditions indignes et inhumaines, ici, en France… et
notamment sur les trottoirs de Paris. Des personnes qui demandent l’asile dans
la « Patrie des droits de l’Homme » et qui, après avoir fui la violence et la
guerre, après avoir souvent traversé l’enfer, découvrent au moment où ils
pensaient atteindre enfin le bout du tunnel, que ce n’était pas fini…
Je ne doute
pas un seul instant des difficultés auxquelles doit faire face l’Ofii.
Toutefois,
je m’interroge.
En tant que
bénévoles, nous accompagnons autant que faire se peut, les demandeurs d’asile
dans leurs démarches quotidiennes, parce que, grâce aux cours de français que
nous dispensons gratuitement à toutes celles et tous ceux qui en ont besoin
(plus de 30 cours hebdomadaires !) nous disposons aujourd’hui de l’aide de nos
élèves qui peuvent nous servir d’interprète.
Avec
certains services de l’Ofii, nous parvenions ainsi à débrouiller des dossiers
compliqués, notamment parce que nos interlocuteurs avaient bien compris qu nous
avions la possibilité (qu’ils n’ont pas) de prendre le temps d’expliquer la
situation aux personnes concernées. Vous n’êtes pas sans savoir que le stress
dans lequel vivent les demandeurs d’asile et la complexité des règles
administratives françaises nécessitent de la patience. Expliquer les règles,
nous semble-t-il, c’est la moindre des choses. Même s’il faut s’y reprendre à
plusieurs fois.
Depuis
plusieurs mois, nos efforts restent vains. La plupart des services de l’Ofii
refusent désormais que nos bénévoles accompagnent les demandeurs d’asile. Donc
nous faisons des lettres, le plus souvent sans réponse. Il arrive encore,
heureusement (plutôt en province…) que des salariés de l’Ofii nous passent un
coup de fil pour demander un complément d’information ou pour expliquer une
situation. Et, le plus souvent, dans ce cas-là, on arrive à une solution.
Mais il y a
aussi des coups de fil plus curieux. La semaine dernière, alors que j’avais
envoyé un jeune homme à l’Ofii pour expliquer que, après une période de «
dublinage » compliquée et un passage en procédure normale par la préfecture (il
a déposé sa demande d’asile à l’Ofpra), il avait le droit à une reprise des ses
conditions matérielles d’accueil, un salarié a pris le temps de me téléphoner
pour m’expliquer qu’il fallait arrêter d’envoyer des lettres parce que, depuis
le
1er octobre, la loi avait changé et que ce monsieur n’avait aucun droit.
Comme je ne
suis pas juriste, j’ai poliment remercié mon interlocuteur. Mais comme je suis
curieuse de nature, j’ai cherché à vérifier. Auprès des professionnels. Et là,
surprise, les affirmations de ce salarié de l’Ofii étaient totalement
mensongères. Il n’y a pas de nouvelle loi sur les conditions matérielles
d’accueil entant en vigueur au 1er octobre. Rien.
Je suis
indignée.
Comment
l’Offi, un organisme public, censé par nature appliquer le loi et défendre
l’intérêt général, peut-il laisser ses salariés diffuser de fausses
informations pour décourager les demandeurs d’asile à accéder à leur droits ?
S’agit-il de
faire des économies ? Là, hélas, c’est ma question optimiste…
Ou alors
(pitié, dites-moi que ce n’est pas ça…), cherche-t-on à prouver à toutes
celles et ceux qui viennent chercher refuge chez nous que l’accueil en France
est tellement indigne qu’ils feraient mieux d’aller voir ailleurs ? Dans un fol
espoir que c’est la meilleure façon de décourager les gens à quitter leur pays,
leur famille, leur existence (posture aussi ignoble que stupide… aucune mer
meurtrière, aucun mur réputé infranchissable, aucun fonctionnaire méprisant
n’arrivera jamais à stopper le désespoir) ?
J’ai beau
réfléchir, je n’arrive pas à comprendre.
Que se passe-t-il exactement ?
Tout le
monde le sait, le nombre de personnes à la rue s’accroît de jour en jour. La
situation est explosive. Pas besoin d’attendre l’arrivée du gel et le
déclenchement d’un énième Plan grand froid et ses hébergements d’urgence au rabais.
Il y aura encore des morts.
Et je ne
parle même pas des malades, puisqu’on est en train de fabriquer sciemment des
centaines, des milliers de malades. Ceux que l’absence de soins fait basculer
d’une maladie simple à une affection grave. Ceux qui l’on laisse s’enfoncer
dans des troubles psychiatriques majeurs (pas besoin de décrire, en amateur,
les effets de l’état de stress post-traumatique associé à une maltraitance
administrative, il y a suffisamment de publications sérieuses sur la
question…). Ceux qu’on maintient pendant des mois à cause de l’ignoble
procédure Dublin, dans l’angoisse d’une déportation. Ceux qu’on laisse se
débrouiller avec leur tuberculose. Ou dont on nie la nécessité des soins avec
le VIH.
Je ne suis
qu’une citoyenne lambda. Je n’ai aucun pouvoir, sinon celui de lancer l’alerte.
Si je
m’adresse à vous, c’est parce que je suis encore suffisamment optimiste pour
penser qu’il ne s’agit pas d’une politique délibérée, orchestrée par les
administrateurs le l’Ofii.
Et que, même
si ces derniers dorment toutes les nuits, tout comme leur famille, dans un vrai
lit, avec des sanitaires accessibles et même un chauffage, ils sont capables
d’admettre que la place d’un nourrisson, d’un femme enceinte, d’un jeune homme
malade, d’une personne âgée, d’une toute jeune fille vulnérable ou d’un gars en
fauteuil roulant n’est pas à la rue. Et là, je ne parle que des situations les
plus poignantes, parce que, de toutes façon, selon la loi, il ne devrait y
avoir aucun demandeur d’asile à la rue.
Je ne suis
qu’une citoyenne lambda. C’est probablement pour cela que je n’arrive pas à
comprendre ce qui se passe. A quoi joue l’Etat français ? A quel jeu joue
l’Ofii ?
Tout ce que
je sais, c’est que c’est un jeu éminemment dangereux.
Non
seulement parce qu’il consiste à nier l’état de droit, qu’il s’agisse de la
législation française ou des conventions internationales que la France a
pourtant signé. Mais aussi parce qu’il consiste à nier la notion même
d’humanité.
Un jour, il
faudra expliquer à nos enfants et à nos petits-enfants comment nous avons pu
laisser faire cela. Et ce ne sera pas facile. Ni pour les citoyens lambda, ni
pour ceux dont la responsabilité était d’organiser un accueil digne des
demandeurs d’asile.
Moi, je n’ai
pas envie d’attendre de moment-là. En tout cas pas sans avoir tenté d’arrêter
ce mécanisme odieux.
Je suis
fatiguée de quémander des couvertures et des duvets aux amis, aux voisins, aux
personnes bienveillantes qui tentent d’aider. Je suis désespérée de dire,
plusieurs fois par jour que non, je suis désolée (sorry, j’ai honte, I’m
ashamed) n’ai pas de solution, tout ce que je peux faire, c’est vous donner une
couverture de survie.
Il y a plus
d’un millier de personnes qui dorment dehors, rien qu’à Paris. La semaine
dernière, on a dû chercher en catastrophe un hébergement solidaire pour une
jeune femme très vulnérable, demandeuse d’asile en procédure normale qui
dormait sur le trottoir depuis… un mois et demi ! Grâce à la mairie de
Malakoff, on a mis à l’abri provisoirement une famille syrienne de 9 personnes,
avec un bébé de moins de deux ans, à qui l’Offi, depuis un mois, ne propose
toujours rien. RIEN !
Je suis
fatiguée des paroles en l’air (genre « Plus personne à la rue »… je ne sais
même plus de quand ça date…). Mais pas de la fatigue qui fait baisser le
bras.
Je lance une
alerte. Parce que cela ne peut pas continuer comme ça.
Vous êtes à
la tête du Conseil d’administration de l’Ofii. Le seul opérateur de l’Etat en
charge de l’intégration des migrants durant les cinq premières années de leur
séjour en France. Vous ne pouvez pas vous affranchir ni d’une vision
humanitaire, ni d’une vision politique des conséquences de cette faillite
collective de l’accueil. C’est bien pour cela que je m’adresse à vous.
Les idées
pour sortir de cette impasse, nous, les citoyens lambda qui refusent
d’abandonner leur droit à se comporter en êtres humains, nous en avons plein…
Des bricoleges, on en improvise tous les jours. Là, on a fait les comptes.
Notre petite association locale, dont vous n’avez probablement jamais entenud
parler, a assuré plus de 5 000 nuitéees d’hébergement soldaire cette année (qui
n’est pas finie). On ne peut faire guère mieux. Mais ce n’est pas à nous de
trouver des solutions. C’est votre travail.
Toutefois,
si, en attendant une solution digne pour tout le monde, vous voulez rejoindre
les rangs des hébergeurs solidaires, vous êtes le bienvenu. On cherche tous les
soirs des chambres, des lits, des canapés disponibles… On a même des matelas
gonflables, pour ceux qui n’ont qu’une petite place dans un couloir. Parce que
dehors, il fait froid. Et que la rue, c’est dangereux. Je n’ai pas besoin de
vous l’expliquer.
Je vous suis
reconnaissante d’avance de l’attention que vous vous voudrez bien accorder à ce
courrier. Et surtout des suites que vous voudrez bien y apporter.
Avec mes
salutations respectueuses