Lettre ouverte du Réseau Amy au Président du Conseil Départemental

Communiqué de presse – 5 septembre 2018

Le Conseil Départemental des Yvelines laissent des mineurs non accompagnés (MNA) à la rue

19 associations et syndicats dénoncent la politique de « non-accueil » mise en place par la cellule Mineurs non accompagnés (MNA) de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), placée sous l’autorité du Président du Conseil Départemental des Yvelines, Pierre Bédier.

Refus de prise en charge

Ces jeunes étrangers se voient souvent refuser une « mise à l’abri élémentaire » et notifier des refus de prise en charge arbitraires, au mépris de la Loi, après un simple entretien, sur le fondement d’arguments contestables : minorité non reconnue, isolement non avéré,…

Certains jeunes se voient nier leur minorité, les documents d’identité qu’ils présentent étant considérés à priori comme des « faux », sans qu’aucune vérification ne soit entreprise.

D’autres ne sont pas reconnus comme isolés sous prétexte qu’ils ont reçu l’aide temporaire d’un particulier, d’une famille ou d’une association.

Le rapport 2017 de la mission MNA du ministère de la Justice met en évidence l’extrême réticence de la cellule d’évaluation des Yvelines à porter assistance à ces jeunes, malgré une capacité d’accueil supérieure aux trois autres départements de la grande couronne parisienne. Dans les Yvelines, seuls 61 jeunes ont été reconnus (p.9 du rapport annuel d’activité 2017 de la mission MNA du ministère de la justice) . https://www.vie-publique.fr/rapport/37250-mission-mineurs-non-accompagnes-rapport-annuel-dactivite-2017

Le RESF 78 s’interroge « Comment expliquer un tel écart, si ce n’est par une politique délibérée du département de refuser d’accueillir ces mineurs isolés ? »

Conditions d’accueil inacceptables

En application du dispositif de répartition nationale, les Yvelines ont donc eu l’obligation d’accueillir des jeunes en provenance d’autres départements. La majorité des 328 jeunes confiés à ce titre en 2017 ont été mis à l’hôtel, sans accompagnement social, scolaire et administratif.

Beaucoup ont fait l’objet d’une nouvelle évaluation de minorité, niant les résultats des évaluations réalisées par les autres départements, puis ont été remis à la rue sur la base des « tests osseux et dentaires » dont on connaît le peu de fiabilité.

Les associations et syndicats soussignés ont adressé une Lettre à Pierre Bédier, président du Conseil départemental des Yvelines que vous trouverez aussi sous forme de PDF à la fin de cet article :


Monsieur Pierre Bédier,
Président,
Conseil Départemental des Yvelines
2, place André Mignot 78012 Versailles Cedex

Objet : accueil des MNA

Versailles, le 27 août 2018

Monsieur le Président,

Organisations et syndicats signataires, nous vous interpellons sur les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers par vos services.
Depuis plusieurs mois, nous avons rencontré de nombreux jeunes étrangers qui se sont vus refuser une mise à l’abri par la cellule Mineurs Non Accompagnés (MNA) de l’Aide Sociale à l’Enfance, placée sous votre autorité. Selon les témoignages de certains de ces jeunes, confirmés par nos propres observations, les conditions dans lesquelles se déroulent ces évaluations ne respectent pas les droits qui leur sont garantis par la réglementation et débouchent sur des décisions arbitraires de refus de prise en charge.

Les mineurs qui arrivent directement à la cellule MNA au terme d’un long périple, souvent transafricain, – via l’Italie ou l’Espagne – font fréquemment l’objet d’un refus de prise en charge après un simple entretien, sur le fondement d’arguments contestables. Ces jeunes se voient nier leur minorité sans prise en compte des documents d’état-civil ou d’identité qu’ils présentent, considérés à priori comme des « faux », sans qu’aucune vérification de leur validité ne soit entreprise. Vous savez pourtant, Mr le Président, que l’État français finance les cinq premiers jours de prise en charge pour évaluation de la minorité et de l’isolement, à raison de 250 € par jour et par personne. Et cela justement pour prendre le temps d’effectuer une véritable évaluation.
Certains se voient reprocher de n’être pas demeurés dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’Union Européenne (Italie ou Espagne) et sont remis à la rue pour ce seul motif totalement aberrant. Tel ce jeune à qui il a été refusé une protection au motif qu’il reconnaissait avoir été aidé par une association en Espagne. Sur l’arrêté départemental, il était dit en votre nom

« Il convient donc que vous retourniez en Espagne poursuivre cet accueil déjà opérant ».

Le juge des enfants en a décidé autrement et l’a confié à l’ASE78. En effet, un mineur étranger non accompagné ne peut pas être renvoyé contre son gré vers un autre pays européen.

Le rapport 2017 de la mission MNA du Ministère de la justice met en évidence l’extrême réticence de vos services à accorder une protection aux jeunes qui se présentent à la cellule d’évaluation. Notre département, malgré une capacité d’accueil un peu supérieure aux trois autres départements de la grande couronne parisienne, n’a accueilli que seulement soixante-et-un jeunes en 2017, soit trois à dix fois moins que ces départements voisins. Comment expliquer un tel écart, si ce n’est par une politique délibérée de refus d’accueil des mineurs isolés arrivant en Yvelines ?

Compte tenu du nombre restreint de jeunes évalués mineurs et isolés, vos services ont dû, en application du dispositif de répartition nationale, prendre en charge des jeunes en provenance d’autres départements. Si certains ont été rapidement confiés au Lien Yvelinois ou à une autre structure, la majorité des 328 jeunes qui vous ont été confiés à ce titre en 2017 ont été mis à l’hôtel. Certains d’entre eux ont fait l’objet d’une nouvelle évaluation en contradiction avec la lettre et l’esprit du dispositif national d’accueil des mineurs isolés, issu de la loi du 14 mars 2016, qui repose sur la reconnaissance mutuelle du résultat des évaluations réalisées par les autres départements. Or, nous constatons que vos services qui soumettent ces jeunes en provenance d’un autre département à une nouvelle évaluation, saisissent ensuite le Parquet pour qu’il procède à des expertises osseuses et dentaires. Que valent pour un mineur présumé de seize ans et demi, ces « expertises » dont le résultat est donné avec une marge d’erreur d’au moins dix-huit mois ? Ainsi tout récemment, un jeune reconnu mineur par l’ ASE d’un autre département, a vu cette décision immédiatement contestée après son transfert dans les Yvelines. Et malgré une carte consulaire d’un pays africain que nous avons fait émettre, en urgence, pour prouver sa minorité, ce jeune est resté à la rue, ce document ayant été déclaré faux sans la moindre vérification auprès du consulat émetteur….!


Une autre pratique contestable de vos services porte sur leur appréciation de la notion d’isolement. Il est inacceptable que soit opposé à un mineur le fait qu’il n’est pas isolé parce qu’un particulier, une famille ou une association l’a temporairement aidé, « avec les moyens du bord », en l’absence de prise en charge par vos services. Oui, certaines familles hébergent temporairement des mineurs, car l’ASE ne le fait pas ! Se servir de cet argument contre le mineur, en plaidant le « non isolement » est particulièrement cynique. La Cour de cassation a récemment rappelé que le fait qu’un mineur dispose de relations sociales ou familiales en France ne permet pas de considérer qu’il ne relève pas de la protection de l’enfance et qu’il incombe de rechercher s’il dispose d’un représentant légal sur le territoire ou d’une prise en charge effective par une personne majeure (C. Cass. 16 nov. 2017, n° 17-24072).

Enfin, nous constatons que les jeunes qui ne sont pas hébergés par une association mandatée par le département, comme le Lien Yvelinois, restent confinés dans des hôtels où les services de l’ASE ne se préoccupent guère de leur intégration scolaire et sociale, bloquant parfois toute initiative du jeune dans ce domaine. Certaines organisations, comme le Secours Catholique, leur proposent des cours de français pendant la période d’évaluation mais aussi après leur prise en charge. Les bénévoles font de leur mieux pour répondre à la motivation des jeunes et leur procurer de la considération humaine. Mais c’est nettement insuffisant : on ne peut pas laisser des adolescents passer leurs journées dans leurs chambres ou bien errer dans les rues ou les magasins au risque de tomber entre les mains de prédateurs.

Il est crucial que ces jeunes commencent une scolarité ou formation qualifiante au plus vite. Les services de l’Éducation nationale acceptent sans difficulté de les affecter en classes d’accueil, en module d’accueil et d’accompagnement (MODAC), en unité pédagogique pour enfant allophone (UPE2A) ou CAP (avec ou sans apprentissage) chaque fois que cela est possible. Ces formations constituent la clé de leur intégration et de leur avenir. Encore faut-il que vos services engagent les démarches nécessaires !

Autre tâche qui vous incombe : préparer leur avenir d’un point de vue
administratif pour qu’ils obtiennent leur titre de séjour à leur majorité. Ce qui suppose d’aider les jeunes qui n’ont pas de passeport à en faire la demande auprès de leurs autorités consulaires et à en assumer le coût , puis à les assister ensuite dans leurs démarches en préfecture (prise de rendez-vous, remise de l’avis sur l’insertion exigé par le Ceseda, etc.). Autant de tâches impératives qui ne sont pas toujours effectuées par vos services.
Nous sommes conscients que l’accueil des jeunes migrants a un coût. Cependant, la protection de l’enfance est une des missions du Conseil Départemental et il vous incombe de garantir sa mise en oeuvre pour tous les enfants, à la hauteur de leurs besoins et quelle que soit leur nationalité.

En conséquence, nous vous demandons de bien vouloir prendre les mesures nécessaires afin que, dorénavant, notre département :

  1. respecte l’obligation de mise à l’abri de toute « personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille » conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles ;
  2. assume ses obligations dans le premier accueil des mineurs isolés en procédant à une évaluation respectueuse de leurs droits, ce qui implique notamment de respecter la présomption de validité des actes étrangers et de leur accorder le bénéfice du doute ;
  3. respecte l’évaluation réalisée dans un autre département lorsque qu’un enfant vous est confié dans le cadre du dispositif de répartition nationale ;
  4. assure la totalité des missions qui lui incombent, en particulier dans le domaine de la scolarisation et l’assistance dans les démarches administratives (consulats, DIRECCTE, préfecture, etc.)

Nous nous tenons à votre disposition pour discuter de l’ensemble des questions.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, nos respectueuses salutations.


au nom des 19 associations/organisations signataires
Odile Jouanne (06 07 05 46 97)

copie à l’ensemble des membres de la commission « Emploi, Affaires sanitaires, Familiales et Sociales »

Associations signataires :

  • ATD Quart Monde – Délégation des Yvelines,
  • ASTI du Mantois,
  • CCFD – Terre Solidaire 78
  • CEFY,
  • la CIMADE,
  • EMMAÜS Bougival-Chatou,
  • FCPE 78
  • Gisti,
  • LDH 78,
  • MRAP 78,
  • RESF 78,
  • Secours Catholique Caritas France,
  • Voisins Solidaires Versailles
  • Yvelines Entraide
  • Syndicats signataires :
  • FSU 78 ;
  • UD 78 CFDT ;
  • UD 78 CGT ;
  • Union Syndicale Solidaires Yvelines
  • SUD Éducation 78

Référent départemental du RESF 78 : Odile Jouanne

Référents sur ce dossier : Claude la Bonnardière  et Jean-Claude Maréchal

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